Une fuite en avant sécuritaire

Mes chers collègues, la réduction des libertés publiques, l’acceptation d’un état de guerre, c’est l’objectif premier des islamistes radicaux, qui espèrent ainsi déstabiliser notre démocratie.

Oui, je suis inquiète d’assister à cette union si large autour d’un certain jusqu’au-boutisme sécuritaire. Car le spectre est très large : des élus socialistes jusqu’à ceux du Front national !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Oh !

Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d’État, le courage politique n’aurait-il pas exigé de tenir un discours de vérité à notre peuple, comme l’avait fait le Président de la République quelques heures avant l’attentat ? L’état d’urgence est devenu inutile.

L’application des lois existantes et, surtout, la mise en œuvre de moyens considérables peuvent bien entendu permettre de faire face à la menace.

Pourquoi avoir choisi la voie de l’incohérence en prorogeant un dispositif que chacun, à droite comme à gauche, présentait comme inutile ?

Résultat, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement s’est placé sous une double pression, d’une part, celle, immédiate, d’une opposition en prise avec ses préoccupations préélectorales et, d’autre part, celle de l’émotion, justifiée, d’une opinion effarée par les images de Nice, complaisamment diffusées par les médias télévisés jusqu’à l’écœurement. (M. le secrétaire d’État s’exclame.)

Oui, l’attaque sauvage de Nice, étant donné son caractère atypique et imprévisible, exigeait de prendre le temps de la réflexion. Nous pouvions le faire, monsieur le secrétaire d’État, puisque nous étions en état d’urgence jusqu’au 26 juillet et ensuite, peut-être aurions-nous dû prendre les mesures les plus adaptées, quitte, effectivement, à proroger l’état d’urgence.

La polémique qui enfle, depuis hier, sur les moyens effectifs mis en œuvre par l’État pour faire face à la menace lors de tels rassemblements populaires montre bien qu’il s’agit maintenant essentiellement d’une question financière, d’une question de mobilisation de la société, pour empêcher de nuire des individus fanatisés, psychologiquement faibles ou déséquilibrés, non surveillés car non suspects.

Je l’ai rappelé hier : il faut faire le choix d’un état d’urgence populaire. La solidarité et le retour des services publics doivent permettre de limiter au maximum les risques.

La police et la justice sont exsangues. Il faut rétablir la police de proximité.

Et la justice ? Quels sont les moyens de suivi psychologique ou social prévus ? La prison ? Comment agir contre la radicalisation dans des prisons surpeuplées ?

L’école, les collectivités, les associations doivent être en première ligne dans cet état d’urgence populaire, véritable sursaut démocratique et social.

Notre politique internationale doit également être revue de fond en comble dans cette région du monde.

Le drame d’hier en Libye, avec la mort de trois soldats français, montre que les tentatives pour rattraper des choix stratégiques catastrophiques qui ont ouvert un boulevard à Daech, ceux de M. Sarkozy en l’occurrence (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…

M. Roger Karoutchi. Daech n’existait pas…

Mme Éliane Assassi. … risquent d’être vaines si la collectivité internationale ne s’unit pas, sous l’égide de l’ONU, pour rétablir durablement la paix dans cette région dévastée du Proche et Moyen-Orient par les intérêts géopolitiques et économiques des grandes puissances et des puissances régionales.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont beaucoup cédé depuis 48 heures. La prorogation est passée de trois à six mois et un nouveau palier est franchi dans la réponse pénale, inefficace par nature contre des martyrs ou des fanatiques, sur l’initiative de la droite applaudie par les quelques parlementaires du Front national.

Un symbole grave imprègne ce texte, le jour où le 49-3 est imposé pour faire passer à la hussarde la loi Travail, toujours rejetée par 71 % des Françaises et des Français : toujours sans majorité parlementaire, le Gouvernement et la droite ont aménagé la procédure d’interdiction de manifester pour la rendre plus opérationnelle.

Cette mesure de renforcement, dans le cadre de l’état d’urgence, de l’interdiction de manifester, appelée aussi « interdiction de cortège » – à un moment donné, la sémantique à ses limites : il s’agit bel et bien de s’attaquer au droit de manifester ! –, confirme nos craintes et celles de nombreux démocrates quant à l’influence détestable de l’état d’urgence sur les droits politiques et sociaux.

Je le dis solennellement : le groupe communiste républicain et citoyen – composé de sénatrices et de sénateurs communistes éminemment responsables qui ne font aucunement preuve de laxisme – votera résolument contre ce projet de loi sous influence. (M. Pierre Charon s’exclame. – L’orateur interrompt son intervention.)

M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue !

Mme Éliane Assassi. Je vais poursuivre, monsieur le président.

Ces sénatrices et sénateurs réaffirment que seule une mobilisation positive de la société, l’ouverture d’une espérance politique et sociale…

M. Pierre Charon. Il n’est pas facile d’être communistes en ce moment !

Mme Éliane Assassi. Monsieur Charon, si vous voulez vous exprimer, montez à la tribune !

Seule cette mobilisation permettra d’affronter le défi de Daech, et de réaffirmer la force du vivre-ensemble ; une notion que vous ne connaissez visiblement pas, monsieur Charon !

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