Marqués dans leur chair, les Polynésiens redoutent toujours de perdre leurs terres

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi reprend des dispositions que nous avions déjà votées, en avril dernier, lors de l’examen des projets de loi sur la Polynésie française, adoptés par le Sénat à l’unanimité.

La censure du Conseil constitutionnel, dont ont parlé les orateurs précédents, nous amène aujourd’hui à évoquer de nouveau la situation particulière de la Polynésie française, et plus largement des outre-mer, en matière d’indivision successorale, mais il est de notre devoir de parlementaires de légiférer autant que nécessaire sur les outre-mer, de la manière la plus conforme à l’évolution et aux besoins, entre dépendance économique et inégalités criantes, de ces territoires de la République aujourd’hui délaissés par le Gouvernement.

Alors que vous avez, madame la garde des sceaux, inauguré la semaine dernière le tribunal foncier de Papeete, entité judiciaire unique en son genre, nous intervenons dans l’urgence afin de faciliter le traitement des contentieux juridiques en Polynésie française.

Le phénomène de l’indivision, entraînant gel du foncier et conflits familiaux, se retrouve en Polynésie française du fait de l’histoire du fenua, de son identité au cœur de laquelle s’inscrivent le rapport à la terre des ancêtres, les liens familiaux et les biens communs. Une autre cause historique ne doit surtout pas être oubliée : les méfaits de la période coloniale, qui a marqué la chair et l’esprit des Polynésiens, toujours habités par la peur de perdre leurs terres.

La moitié des terres polynésiennes seraient aujourd’hui en situation d’indivision, avec un droit de propriété exercé à plusieurs en attente d’un partage, rendu complexe par le faible taux de démarches à l’amiable, qui amène un engorgement des tribunaux, le nombre important de coïndivisaires, dont l’identité est souvent incertaine, leur dispersion géographique ou l’absence de liquidation sur plusieurs générations.

Le droit commun ne permet pas de sortir de cette situation, qui est un frein au développement économique du territoire mais aussi à la fiscalité locale. Créer un tribunal foncier ne suffit pas ; il faut donner les moyens aux juges polynésiens de résoudre les situations locales, et c’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Notre groupe approuve l’adaptation du droit commun aux caractéristiques du pays en permettant d’alléger les conditions de partage et d’attribution préférentielle de biens, de donner aux frères et sœurs d’un défunt un droit de retour total des biens immobiliers en indivision, sauf usufruit légal du conjoint, de limiter les remises en question des décisions de justice et de recourir plus souvent au partage par souche.

De telles mesures tendent aussi à reconnaître la jurisprudence de la cour d’appel de Papeete, rejetée jusqu’à présent par la Cour de cassation. L’article relatif à la concession aéroportuaire devrait, quant à lui, inciter à relancer la procédure d’appel d’offres pour l’aéroport de Tahiti-Faa’a, attendue depuis longtemps.

Tout en respectant l’indépendance du pouvoir politique polynésien, nous souhaitons, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, encourager le Gouvernement et le Parlement à légiférer plus régulièrement et plus naturellement sur les outre-mer pour permettre le bon fonctionnement de leurs institutions, mais aussi de la vie quotidienne des citoyens.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Comme vous avez raison !

Mme Éliane Assassi. Nous appelons cependant à la prudence, car il ne doit pas seulement s’agir de consacrer à mains levées des dispositions pour ces territoires. Encore faut-il en évaluer l’efficacité et l’impact sur les réalités locales, afin d’être continuellement à l’écoute et dans l’action en faveur des ultramarins, qui doivent être associés au travail législatif.

Le groupe CRCE votera en faveur de l’adoption de ce texte.

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