Un projet de loi manifestement contraire à la Constitution

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront la motion soulevant l’inconstitutionnalité de ce projet de loi de réforme des collectivités locales.
Sans reprendre les nombreux arguments qui viennent d’être évoqués, je reviendrai plus précisément sur deux points manifestement contraires à la Constitution.

Premièrement, les futurs conseillers territoriaux. Leur éventuelle création contredit deux articles de la Constitution.

L’article 75 pose depuis la loi du 28 mars 2003 que l’actuelle majorité a pourtant voté comme un seul homme que, je cite : « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer]…[Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leur compétence. »

Cet article précise bien que l’existence d’une collectivité se fonde notamment sur l’existence d’un conseil élu, donc distinct de celui des autres collectivités.
Or, le projet de loi prévoit la disparition de ce conseil élu spécifique à la région et au département. De la confusion créée par votre projet, M. le Ministre, naît une inconstitutionnalité grave, car elle viole un principe démocratique.

Par ailleurs, la création des conseillers territoriaux ne respecte pas les articles 1 et 4 de la Constitution. Le dernier alinéa de l’article premier pose ce principe fort : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. » Le dernier alinéa de l’article 4 indique, quant à lui, « que la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

Cela a déjà été souligné, le mode de scrutin prévu pour l’instauration de ces conseillers territoriaux réduit à néant l’avancée permise par le mode proportionnel de l’élection des conseillers régionaux, en matière de parité et pousse à la bipolarisation de la vie politique en favorisant par son caractère uninominal autour de deux grands blocs.

Vous me direz que l’article premier n’évoque pas le mode de scrutin. De deux choses l’une : soit vous retirez cet article pour qu’enfin une discussion sérieuse et cohérente s’organise en regroupant le débat sur les conseillers territoriaux, de leur création à leur mode d’élection, soit vous acceptez que l’on discute de leur inconstitutionnalité dès leur création, puisque vous avez déjà déposé le projet de loi, le n° 61, qui instaure leur mode d’élection.
M. le Ministre, l’inconstitutionnalité de votre projet de loi ne porte pas sur le seul article premier.

C’est l’ensemble du texte, son essence même, qui est contraire à la Constitution.
En effet, sa lecture démontre, article après article, qu’il institutionnalise la tutelle d’un niveau de collectivité sur un autre.

Le principe de libre administration, inscrit par l’article 72 que je viens de citer, dans la Constitution, vole ainsi en éclat.

Toute analyse sérieuse souligne que cette libre administration est au cœur de l’existence constitutionnelle des communes, départements et régions consacré par l’article 72. Ainsi, sa suppression fait elle perdre leur caractère constitutionnel à ces institutions de la République.
Comment imaginer qu’une telle décision puisse être mise en œuvre sans une révision de la Constitution ?

Pour la commune et le département, avec la création des métropoles et des différents regroupements de collectivités prévus, ce n’est plus la libre administration qui est en cause, mais leur administration tout court, puisque compétence, budget et personnel leur seront supprimés.

La compétence générale corollaire de la libre administration qui distingue une collectivité d’un simple établissement public défini, lui, par le principe de spécificité, est abandonnée. C’est une remise en cause radicale de la Constitution dont l’article 72 deviendra un élément virtuel.
Pour autant, le gouvernement ne se hasarde pas à accorder aux nouvelles entités le caractère de collectivités locales, en s’abritant derrière le concept bien utile d’intercommunalité.

M. le Ministre, le pouvoir joue avec la Constitution, il la manipule. Il évite un grand débat national sur une question qui engage l’avenir de nos institutions.
Pour justifier une telle prise de risque avec la démocratie, l’enjeu est de taille : adapter la France à la mondialisation financière, casser un modèle institutionnel français hérité de notre histoire démocratique pour laisser libre le champ au pouvoir économique.

Pour notre part, nous défendrons des principes démocratiques fondamentaux en votant cette motion d’irrecevabilité.

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