Ce texte ne fait que renforcer un climat de tension que vous instaurez délibérément

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, il s’agit d’un énième projet de loi sécuritaire, qui touche quasiment tous nos codes. Il engendrera une vaste entreprise de réécriture non seulement de ces codes, mais aussi de notre histoire.

Car nous traversons, monsieur le ministre, une bien triste histoire, qui mêle tous les ingrédients de base de la pensée de Charles Maurras, lequel entendait prôner le paradoxe d’une pensée réactionnaire qui changerait activement l’Histoire.

La vaste entreprise de captation d’héritage, initiée par le Président de la République et amplifiée par ses disciples, convoque tant de gloires nationales que l’on croit feuilleter l’un des millions d’exemplaires du manuel primaire d’Ernest Lavisse, grand reconstructeur républicain du sentiment national après la défaite de 1870.

Ce n’est donc sans doute pas par hasard si, dans le discours que vous avez prononcé après la discussion générale, vous avez évoqué L’Étrange Défaite de Marc Bloch, écrit d’histoire immédiate, dans lequel l’auteur analysait les raisons de la défaite française de 1940. D’ailleurs, dans ce texte, Bloch fustigeait la faiblesse des services de renseignement, d’où peut-être votre empressement à accorder l’impunité à ceux que j’appellerai, n’y voyez pas malice, des barbouzes. (Protestations sur le banc de la commission.)
Ce choix de référence est sans doute à mettre en lien avec la « guerre » que M. Sarkozy entend mener contre les « voyous ». Fort heureusement, monsieur le ministre, nous ne sommes pas en guerre !

Votre étrange défaite se trouve dans le désaveu des Français et de votre majorité, dans votre mépris de la démocratie, dans votre irrespect envers notre République et ses principes.

Ce que nous n’avons eu de cesse de dénoncer durant ce débat, vous y avez répondu, ce qui m’a étonnée – ceci expliquant peut-être cela –, soit par une argumentation particulièrement faible, soit avec un manque de conviction. Je vous ai connu plus motivé, monsieur le ministre !

D’un simple revers de main, vous avez eu l’indécence de bousculer le principe de séparation des pouvoirs, alors même que vous prétendez protéger nos concitoyens, qui nous ont pourtant élus.
D’abord, vous avez bafoué le pouvoir législatif en faisant passer en force les « amendements du discours de Grenoble », qui tendent à l’aggravation des peines, contre l’avis pourtant unanime des sénateurs de la commission des lois.
Nous nous sommes exprimés contre ces amendements, car, en tout état de cause, en plus d’être une réponse impertinente aux faits divers, ils étaient politiquement incorrects et légalement inconstitutionnels.

Mais vous n’en avez cure, tout comme vous vous fichez éperdument de porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs, lorsque vous imposez aux juges d’infliger, y compris aux mineurs, des peines automatiques, en niant le principe d’individualisation de la peine, ou que vous confiez au procureur de la République des compétences qui ne doivent pas lui être dévolues, en niant le principe d’indépendance de la justice.

C’est sans doute aussi parce que nous sommes prétendument en état de guerre que vous multipliez les mesures exceptionnelles qui vont à l’encontre des libertés individuelles garanties à nos concitoyens : fichage massif de la population, extension du port du bracelet électronique, utilisation massive et abusive de la vidéosurveillance, mouchards informatiques, couvre-feu, interdiction des rassemblements, mesures contre les étrangers au mépris de la Constitution, lesquelles laissent planer l’idée que beaucoup d’entre eux seraient des voleurs ou des terroristes en puissance.

Un arsenal législatif au service d’une guerre qui n’existe pas, contre des ennemis tout aussi virtuels. S’il y a guerre, c’est une guerre de classe, puisque vos ennemis sont les étrangers et les classes populaires, car c’est clairement à eux que ce discours s’adresse.

S’il y a justice, c’est une justice de classe, car c’est toujours la petite délinquance que la droite préfère viser, alors que, de l’autre côté du prisme, la délinquance en col blanc est soigneusement écartée des débats.

Ce texte ne fait que renforcer un climat de tension que vous instaurez délibérément, dans la perspective des prochaines échéances électorales, en faisant de l’ordre moral et de l’aggravation des peines votre programme de campagne.

Parce qu’une aggravation de peine, ça va, mais quand il y en a beaucoup, ça pose problème, parce que « la liberté est la règle et la restriction l’exception », parce que nous tenons aux valeurs républicaines, nous voterons contre ce texte.

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