Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La seule croissance que vous favorisez, c’est celle des profits !

Loi Macron : exception d’irrecevabilité -

Par / 7 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, alors que nous sortons d’une période électorale marquée par une forte abstention, un sentiment d’abandon des plus précaires et un rejet de la politique libérale menée par François Hollande, à l’évidence, le Gouvernement reste sourd à l’expression de la colère, au dégoût face aux promesses non tenues, aux reniements, aux capitulations.

Vous ignorez cette exigence d’une autre politique qui réponde aux attentes de nos concitoyens, une autre politique qui les rassure sur l’avenir de leurs enfants. Ils n’en peuvent plus de l’accroissement des inégalités sociales et de la désespérance sociale.

Face aux peurs de déclassement, face aux peurs du chômage, du surendettement et de pensions insuffisantes pour survivre, vous nous proposez une loi mastodonte, dont l’unique souci, quand on l’étudie de près, article par article – eh oui, monsieur le ministre, nous travaillons beaucoup, surtout mon groupe ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) –, est de répondre, d’une façon ou d’une autre, aux attentes du marché.

Monsieur le ministre, vous faites miroiter l’idée que votre préoccupation première est la croissance, alors que, en totale contradiction avec cet affichage, vous menez depuis le début du quinquennat une politique d’austérité qui empêche un retour à la création de richesse. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. En revanche, vos choix favorisent une croissance et une seule : celle des dividendes des actionnaires du CAC 40 !

Chers collègues du groupe socialiste, osez dire que ce n’est pas vrai !

Vous faites assaut de démagogie, monsieur le ministre, pour protéger les vrais responsables de la dégradation de la situation économique de notre pays.

Pour vous, la France est malade de son aspiration à l’égalité et à la justice, malade de son particularisme social, mais aussi territorial – vous n’avez aujourd’hui que le mot « territoires » à la bouche, sans doute pour complaire aux sénateurs –,…

M. Dominique Bailly. Ce n’est pas possible d’entendre cela !

Mme Éliane Assassi. … alors même que notre modèle social nous a permis d’éviter des effets encore plus désastreux de la crise économique.

Ainsi, vous faites vivre, dans un long développement, la fiction d’un discours moderniste et simpliste pour cacher de vieilles recettes néolibérales qui consistent à mettre à bas les acquis gagnés à coup de luttes sociales et de résistance.

« La République partout, la République pour tous » disait il y a peu le Premier ministre, oubliant que notre République est avant tout sociale.

Vous le savez, monsieur le ministre, les mots ont un sens, et si la tentation est forte pour le Gouvernement d’utiliser le même langage que M. Gattaz, nous savons lire entre les lignes lorsque vous parlez de « pacte de responsabilité », de « choc de compétitivité » et de « libérer la croissance ». Les mots ont effectivement un sens, et nous sommes là pour vous les rappeler.

La liberté, monsieur le ministre, est une valeur de gauche… (Protestations sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Mme Catherine Deroche, corapporteur. C’est universel, madame !

Mme Éliane Assassi. C’est une valeur républicaine qui permet à l’homme de s’émanciper, de se libérer des jougs qui pèsent sur ses épaules, à commencer par celui d’une exploitation sans borne.

Nous entendons sans arrêt cette rengaine usée : il faut redonner confiance aux entreprises pour ensuite redistribuer de la richesse. En réalité, et tous les chiffres le montrent, cette richesse est de moins en moins distribuée, alors que les profits ne diminuent pas.

Ainsi, sous le titre prometteur de « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », votre texte utilise les mots du MEDEF ou même les noms de commissions créées par Nicolas Sarkozy.

M. Alain Joyandet. Vous le regrettez, n’est-ce pas ?

Mme Éliane Assassi. Mais ce titre est aussi trompeur. Les mesures proposées ne créeront ni activités ni emplois ; elles se contentent en réalité de transférer des services et des activités du secteur public vers le secteur privé, sans la moindre utilité sociale ou économique.

Pire, des mesures facilitant les licenciements économiques et la casse du droit du travail, prévues dans la dernière partie du texte, desserviront l’activité économique et aggraveront encore la condition sociale des salariés. À moins que vous ne fassiez vôtre ce point de vue thatchérien selon lequel les droits des salariés, les droits syndicaux sont un frein à la croissance.

L’ordonnance du 20 août 2014 relative aux privatisations permettra de brader les biens publics, tandis que la première partie du texte s’attaque aux impératifs d’aménagement du territoire. Il s’agit en fait d’une remise en cause de l’État social, voire de l’État, tout simplement.

D’un point de vue juridique, ce projet de loi suscite plusieurs griefs quant à sa constitutionnalité. Si l’on ne peut que lui reconnaître une réelle cohérence doctrinale, il n’en demeure pas moins que son caractère formellement désordonné et sectoriel remet en cause les principes de sincérité des débats et de clarté de la loi, ainsi que ses corollaires que sont les principes d’égalité et d’intelligibilité de la loi. Les guides légistiques nous rappellent pourtant que, lorsque le Parlement débat d’un projet de loi et procède au vote, il le fait article par article, la clarté et la cohérence du contenu de l’article facilitant le débat et l’expression du vote.

Or nous sommes vraiment loin de la clarté et de la cohérence permettant l’expression de la représentation nationale.

Ainsi, dans ce projet de loi, il est question, pour reprendre l’énumération faite voilà peu par La Semaine Juridique : des administrateurs judiciaires, d’autorisations d’urbanisme, des autocars, de diverses autorités administratives indépendantes, des avocats, du bail commercial, du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire, de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics, des commissaires-priseurs, du compte épargne-temps, de concentration économique, des conseils en propriété industrielle, de la copropriété des immeubles bâtis, des dispositifs publicitaires implantés sur des équipements sportifs, des experts-comptables, des installations classées pour la protection de l’environnement, des greffiers des tribunaux de commerce, de la justice prud’homale, de la liquidation judiciaire, de la lutte contre la prestation de service internationale illégale, des microentreprises, des notaires, des péages autoroutiers, du permis de conduire, des plans de sauvegarde de l’emploi, des positions dominantes, du redressement judiciaire, des relations dématérialisées des entreprises avec l’administration et les tiers, du repos dominical, du repos en soirée, des réseaux de communication électronique à haut débit, des sociétés à participation publique, des sociétés d’exercice libéral, des taxis, des tribunaux de commerce, d’urbanisme. J’arrête là cet inventaire à la Prévert, pourtant loin d’être exhaustive, sans oublier la mérule, chère à Éric Bocquet…

Voilà pourquoi ce texte, pour certains, ne mérite pas d’être qualifié de « projet de loi », parce qu’il n’a pas une loi pour projet, mais au mieux, plusieurs lois, rendant le travail parlementaire des plus difficiles, voire impossible.

Cette pratique questionne les principes de clarté et d’intelligibilité de la loi, qui découlent des articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ces exigences constitutionnelles imposent que les dispositions législatives soient formulées de manière « suffisamment précise ». Avouez, mes chers collègues, qu’au vu de la rédaction des plus byzantines de certains articles nous en sommes loin.

Pourtant, garantir au citoyen une accessibilité à la loi tant physique qu’intellectuelle signifie que la norme doit être compréhensible.

Et même si le principe de sincérité des débats relève de la loi de finances, une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière serait des plus opportunes, tant l’étude d’impact du présent texte est lacunaire, ce qui questionne, cette fois, la compétence du législateur

De plus, nous considérons que le recours aux ordonnances prévu dans le projet de loi initial est détourné de son utilisation normale. Il n’y avait pas moins d’une vingtaine de demandes d’autorisation de recourir aux ordonnances, soit, en moyenne, dans un article sur sept.

Ces ordonnances concernent des sujets tels que le projet de canal Seine-Nord-Europe, estimé, excusez du peu, à 5 milliards d’euros, ou la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle évaluée à 1,5 milliard d’euros.

Elles concernent aussi le droit des privatisations, le droit du logement, le texte allant même jusqu’à demander la ratification d’ordonnances qu’il modifie.

Mes chers collègues, il n’y a pas de limite à la complexité !

En ce qui concerne le droit de l’environnement, les ordonnances prévues par le texte interrogent le respect de principes fondamentaux reconnus par la Charte de l’environnement. Monsieur le ministre, comment prétendre que les procédures d’information du public sont une contrainte, alors qu’elles sont, au contraire, une exigence de nature constitutionnelle ?

L’article 38 de la Constitution autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnances, en cas d’urgence et de technicité. Or, force est de le constater, la justification de l’urgence a conduit, depuis de nombreuses années, à faire exploser le recours aux ordonnances par les gouvernements successifs. Pourtant, jamais, vraiment jamais, l’urgence n’est démontrée !

À l’origine, le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement, et surtout depuis le début des années deux mille, le recours aux ordonnances est passé de l’exception au principe. La quasi-totalité des lois comportent désormais un tel renvoi, qui équivaut à un dessaisissement du Parlement, n’en déplaise à certaines et à certains.

C’est pourquoi, d’un point de vue démocratique, nous condamnons le dessaisissement des représentants du peuple sur des sujets d’ampleur. Cependant, comme l’ont souligné de nombreux juristes, la méthode des ordonnances n’est pas simplement critiquable en raison de son caractère antidémocratique, elle est également l’une des causes de l’inflation normative et de la complexité du droit. Il s’agit d’un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général.

Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d’un surplus de normes dont la rédaction et l’application n’auront pas été suffisamment réfléchies.

Pour les élus du groupe CRC, ce procédé est anticonstitutionnel, parce que les conditions d’urgence et de technicité ne sont pas réunies.

Ce projet de loi porte aussi atteinte au principe de sécurité juridique. Ainsi, le Conseil d’État souligne, dans son avis, que « en modifiant à nouveau des dispositions relatives au régime de l’épargne salariale, lesquelles ont déjà fait l’objet de nombreuses modifications législatives ces dernières années, le projet de loi accroît l’instabilité de ce régime, ce qui paraît préjudiciable à son bon fonctionnement. »

Ce n’est là qu’un exemple !

De plus, le texte prévoit de donner de nouvelles compétences à l’Autorité de la concurrence en matière de documents d’urbanisme, afin de s’assurer que les dispositions d’urbanisme commercial respectent les conditions d’une concurrence équitable. Or les documents d’urbanisme sont des outils de concertation et de pilotage qui permettent aux élus locaux d’organiser l’aménagement de leur territoire en fixant les règles d’utilisation du sol et en répartissant les surfaces dédiées au logement, aux équipements publics, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, en vue de satisfaire les besoins de développement local de façon durable.

Cette intervention de l’Autorité de la concurrence est, pour nous, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Enfin, le droit au repos est un élément de la protection de la santé des salariés reconnu par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Le Conseil constitutionnel en a déduit que le principe d’un repos hebdomadaire est l’une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés.

Les articles 72, 73 et 74 du présent projet de loi dérogent aux règles du repos dominical pour les établissements de vente au détail situés dans certaines zones géographiques, et l’article 80 autorise à déroger au repos dominical à douze reprises par an.

Quant aux dispositions relatives au travail de nuit, elles répondent aux attentes de quelques grandes enseignes seulement : le principe d’égalité est bafoué sur l’autel de quelques intérêts particuliers ! Nous ne faisons donc pas preuve d’un égalitarisme forcené, nous demandons simplement le respect de notre Constitution.

À partir du moment où les salariés sont amenés à travailler le dimanche une fois par mois, la récurrence est telle que le travail dominical n’est plus une exception, mais un principe contraignant pour les salariés.

Pour cette raison, nous estimons que le texte est inconstitutionnel.

Le principe d’égalité est énoncé à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Et relisons l’article XVI de cette même déclaration : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Pour le Conseil constitutionnel, « si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ».

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. J’en ai bientôt terminé, madame la présidente. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Le projet de loi prévoit une distinction entre les salariés qui n’est pas justifiée. En effet, comment admettre, comme le prévoit l’article 76, qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de moins de onze salariés n’ait pas les mêmes droits qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de plus de onze salariés ?

Que prévoit le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Or l’article 85 bis du présent texte supprime la peine d’emprisonnement applicable aux employeurs en cas d’entrave au fonctionnement régulier des délégués du personnel. Cette mesure remet donc en question le droit de participation des salariés à la gestion des entreprises.

Mme la présidente. Madame Assassi, je vous demande de conclure !

M. Marc Daunis. Vous faites des heures supplémentaires de nuit !

Mme Éliane Assassi. Je sais bien que mes propos vous gênent, chers collègues… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Respect de la Charte de l’environnement,…

Mme la présidente. Madame Assassi, il s’agit ici de respecter votre temps de parole !

Mme Éliane Assassi. … respect de la libre administration des collectivités territoriales, des principes du droit de participation à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, droit au repos des salariés, protection du patrimoine public et des droits du Parlement revalorisés par la réforme constitutionnelle de 2008, la liste des griefs constitutionnels contre ce projet de loi est longue. (On en appelle à la présidente sur les travées socialistes ainsi que sur les travées de l’UMP.)

Mme la présidente. Mme Assassi conclut, mes chers collègues !

Mme Éliane Assassi. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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