Nos propositions de loi et de résolution
Oui au maintien du service public de transports en commun en Île-de-France
Proposition de loi visant à maintenir un service public de transports en commun de qualité par le maintien de monopoles publics en Île-de-France -
Par Le groupe CRCE-K / 29 janvier 2024La mise en concurrence des réseaux de transports publics en Île-de-France est en cours s’inscrivant dans la perspective permise par la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires adoptée en décembre 2009.
Or, ce basculement historique de l’exploitation du premier réseau de transport comporte d’importants risques sociaux, financiers, économiques et organisationnels aujourd’hui non maîtrisés. Son coût reste à ce jour indéterminé et pourrait être considérable pour les finances publiques et pour l’ensemble des parties prenantes des transports publics : les usagères et usagers, les opérateurs et leurs salarié.es, l’État, les collectivités franciliennes, dont le Conseil régional d’Île-de-France, première collectivité financeur du Contrat de Plan État-Région et d’Île-de-France Mobilités (IDFM). Les conséquences écologiques d’un report modal des usagers vers d’autres modes de transport seront un non-sens quant aux objectifs de réduction des émissions de CO2.
Le coût social d’abord : la mise en concurrence entraîne progressivement le basculement de dizaines de milliers de salarié.es du public vers des filiales de droit privé ou d’une entreprise privée vers une autre. Cette instabilité salariale, appelée à être cyclique à chaque renouvellement de contrat, s’accompagne dans la majorité des cas d’une dégradation des conditions salariales et/ou de travail. Les changements d’opérateurs dans le périmètre OptÎle ont engendré d’importantes difficultés organisationnelles et humaines. Pour rappel, la RATP, Transilien SNCF et OptÎle emploient aujourd’hui presque 100 000 personnes.
L’impact budgétaire ensuite : Île-de-France Mobilités, selon ses documents budgétaires prévoit à ce jour 4,9milliards d’euros d’investissements sur la période 2022-2030 dédiés à la mise en concurrence. Il s’agit essentiellement de rachats par Île-de-France Mobilités de dépôts, d’ateliers et de matériels roulants existants. Ces 4,9milliards d’euros représentent à ce jour 1/6e des investissements d’Île-de-France Mobilités pour la décennie 2020.
Alors que les coûts d’investissements préalables à la mise en concurrence s’annoncent d’ores et déjà considérables (supérieurs à 5 milliards d’euros), ils sont aujourd’hui largement sous-estimés.
En effet, à ce jour, d’autres dépenses exclusivement liées à la mise en concurrence ne sont pas comptabilisées, à l’image du rachat du matériel roulant, des ateliers de maintenance, des équipements et des systèmes d’information, de biens nécessaires à la continuité et à la sécurité de l’exploitation ferroviaire et des biens acquis, créés ou utilisés par SNCF Voyageurs, dont le principe a été voté le 11 octobre 2021 sans estimation budgétaire préalable. Aucune estimation non plus pour le rachat des biens nécessaires à l’exploitation des tramways, métro, RER A et B.
Ces 4,9 milliards constituent donc un plancher bas d’investissements préalables à la mise en concurrence. Ils viennent grever significativement et au moins pour une décennie les investissements en faveur de la modernisation des réseaux existants. Pire, la souscription d’emprunts nécessaires à ces investissements est susceptible de provoquer la faillite d’Île-de-France Mobilités.
Avec une capacité de désendettement se rapprochant de 15 ans, la cote d’alerte d’Île-de-France Mobilités est atteinte avant même la mobilisation des montants nécessaires à la privatisation (dont 1,4 milliard d’euros avant le 1er janvier 2025 pour les seuls dépôts de bus RATP). Pour rappel, le maintien d’une capacité de désendettement de 15 ans ou plus pendant deux exercices entraînerait le remboursement automatique des créanciers d’Île-de-France Mobilités, dont la Banque Européenne d’Investissement. Cette situation alarmante a été confirmée par la dégradation de la notation d’IDFM par l’agence Moody’s en janvier 2022.
La quête de nouvelles recettes de fonctionnement par Île-de-France Mobilités est légitime et leur obtention s’avère indispensable. Toutefois, il serait inconcevable que ces nouvelles recettes viennent améliorer la capacité de désendettement du syndicat mixte afin de lui permettre de privatiser le réseau. Idem pour les hausses tarifaires : celles-ci, bien que destinées à financer le fonctionnement, pourraient être un levier pour permettre les emprunts nécessaires à la privatisation.
À ce paradoxe s’ajoute la progression de la dette du syndicat mixte confronté à un pic d’investissement, auquel la privatisation viendra s’ajouter. Cette dernière ne saurait se financer au détriment des investissements prévus ou nécessaires de la part de l’autorité organisatrice...
À la mise en concurrence, il est nécessaire d’utiliser les bons termes et d’annoncer une privatisation de l’exploitation. Il s’agit tout d’abord d’une privatisation du salariat : les contrats de travail de droit public des agent.es RATP transféré.es disparaîtront le 31 décembre 2026. Idem pour les agent.es de la SNCF transféré.es dès 2025 pour les premières lignes privatisées.
Il s’agit d’une privatisation de l’exploitation : les entreprises publiques sont exclues des appels d’offres. Les entreprises susceptibles de répondre seront de droit privé exclusivement, nationales ou non. Par ailleurs, il est faux de dire que les lignes exploitées par la RATP aujourd’hui seront récupérées par d’autres entreprises parapubliquescomme Transdev et Keolis. Ces deux entreprises sont détenues pour partie par des fonds d’investissement étranger et pourraient voir leur capital changer de mains alors que l’État cherche à réduire son endettement en mobilisant notamment ses avoirs à travers la Caisse des Dépôts et Consignations et des entreprises publiques nationales.
De plus, toutes les entreprises, nationales ou non, peuvent répondre aux appels d’offres – certaines entreprises européennes et extracommunautaires – ont manifesté leur appétit. Enfin, affirmer publiquement et à intervalle régulier que l’exploitation des lignes RATP serait attribuée de fait à Transdev ou Keolis pourrait constituer une suspicion de distorsion de concurrence et renforcer les recours à l’encontre des attributions de lots à Transdev et Keolis.
Enfin, il s’agit d’une privatisation des profits : les dividendes réalisés par les entreprises privées ne seront pas reversés à l’État, contrairement aux reversements opérés actuellement par la SNCF et la RATP.
Des éléments organisationnels, réglementaires et sociaux stratégiques ne sont pas réglés et ne le seront pas avant 2025. Le choix de fragmenter le réseau de bus aujourd’hui exploité par la RATP en 12 lots suscite des difficultés supplémentaires et même l’inquiétude des concurrents de la RATP, qui ont formulé des réserves publiquement. Il est à noter qu’aucun des 12 appels d’offres n’a été notifié à ce jour et les derniers avis publiés en février et mars 2023 ne seront raisonnablement pas opérationnels le 1er janvier 2025, plongeant IDFM et la RATP dans l’illégalité.
Par ailleurs, des missions aujourd’hui exercées par la RATP se retrouveront orphelines bien qu’elles soient indispensables à la qualité de service. Les enjeux autour de la coordination de l’offre, de la gestion des incidents, de l’information voyageurs ou encore de la billettique ne sont pas traités, préfigurant une désorganisation durable du réseau.
Concernant le transfert des personnels RATP vers les opérateurs privés, de nombreux décrets ne sont toujours pas publiés en raison des retards pris par les services de l’État, de l’extrême technicité de certaines dispositions mais aussi en l’absence d’arbitrages de la part d’Île-de-France Mobilités sur la répartition de certaines missions stratégiques entre futurs opérateurs, opérateur sortant et autorité organisatrice. Les rares décrets publiés mériteraient d’être réécrits d’après de nombreux observateurs du dossier. Dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, le maintien de salaire des agents transférés n’est en rien garanti, ni en montant, ni dans la durée.
La reprise de l’intégralité des agent.es de la RATP n’est pas acquise, laissant craindre un plan social d’ampleur et d’extrêmes difficultés de recrutement pour les derniers lots attribués. Les agent.es concerné.es devraient être informés de leur reprise, ou non, dans un calendrier mi-2024, quelques jours avant l’ouverture des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Malgré l’anxiété légitime provoquée par les transferts, la remise en cause des conditions salariales et l’impréparation de la privatisation, aucune organisation syndicale représentative de la RATP, comme de la SNCF, n’a appelé à faire grève pendant les Jeux de Paris 2024 en dépit de la désinformation opérée par les alliés du capital.
Par ailleurs, utiliser le prétexte de la bonne organisation des Jeux de Paris 2024 ne peut être un argument suffisant pour reporter le calendrier de la privatisation. À défaut d’un abandon du processus, seul un report après les prochaines élections régionales de 2028 permettrait de répondre aux inquiétudes sociales et à l’impréparation, mais surtout, permettrait un choix démocratique de la part des Francilien.nes.
Enfin, malgré le recours massif à des cabinets de conseils, Île-de-France Mobilités ne dispose pas des moyens humains de conduire cette évolution, compte 20% de postes vacants et n’a pas les moyens financiers pour une telle mutation.
Les promesses de bénéfices pour la collectivité ne sont pas avérées et les retours d’expériences européennes les discréditent sévèrement.
Plusieurs études européennes et des recherches universitaires le mettent en évidence : la fin d’un monopole n’est ni un gage d’amélioration du service, ni d’une baisse des coûts. Ces études observent que seul le dumping social a permis des profits pour l’opérateur privé au détriment de la puissance publique, des salarié.es et de la qualité de service.
La mise en concurrence dans les pays européens volontaires a été accompagnée d’une baisse sensible des effectifs et de la fragilisation des statuts des salarié.es, ce dernier processus étant déjà à l’œuvre en Île-de- France : filialisation des activités bus à la RATP, dégradation des conditions de travail des salarié.es de nouvelles DSP, etc. Le dumping social opéré par Transdev notamment a démontré l’impact des délégations de service public au rabais pour les usagères, usagers, salarié.es, pour l’image de l’autorité organisatrice, celle du Conseil régional et de son exécutif.
Par ailleurs, la mise en concurrence sur les réseaux ferrés européens a engendré une augmentation des tarifs : hausse de 25 % en moyenne en Angleterre les 10 premières années de la mise en concurrence hors inflation, hausse de 40 % en moyenne en Allemagne des tarifs moyens les 10 premières années de la mise en concurrence hors inflation...
Les économies recherchées, motivation première pour la mise en concurrence selon IDFM, pourraient s’avérer fictives tant les retours d’expérience internationaux sont décevants voire désastreux. Pour rappel, Valérie Pécresse a annoncé en 2021 rechercher 10 % d’économies sur les dépenses de fonctionnement d’Île-de-France Mobilités par l’intermédiaire de la privatisation. Début 2023, devant une commission sénatoriale, la Présidente d’Île-de-France Mobilités a évoqué un gain de productivité de 1 % par an avec les contrats aux futurs opérateurs privés.
Les bénéfices de ce processus pour les usagères et usagers ne sont pas avérés. Pire, les usagers et leurs associations ne comprennent pas pourquoi toutes les énergies et tous les moyens ne sont pas dédiés à la modernisation de l’existant et au développement du réseau.
Par les difficultés rencontrées sur le réseau OptÎle et la dégradation des conditions de travail donc de transports sur le reste du réseau, les inconvénients de la privatisation sont en revanche criants et d’ores et déjà palpables par les usagers.
Tout cela aboutira à une baisse de la fréquentation des transports en commun, soit au détriment du droit à la mobilité de tous, soit au détriment de l’environnement, en privilégiant des modes de transport plus polluant et contre lesquels des efforts sont par ailleurs déployés pour en limiter l’usage. Ainsi, les Zones à faibles émissions (ZFE) induisent une réduction de la voiture qui n’a de sens que si des modes de transport alternatifs et attractifs existent, ce que ne garantit pas efficacement la trajectoire portée par Île-de-France Mobilités. Si des investissements seront également nécessaires pour améliorer la qualité de l’air, notamment dans le métro, c’est aussi l’air francilien qui sera dégradé par une dégradation de la qualité de transport, avec une incidence sur la santé des habitants de la région et d’ailleurs.
Pourtant, la mise en concurrence n’est pas une fatalité : des alternatives crédibles et rapidement opérationnelles existent.
Le cadre réglementaire permet d’autres choix : la traduction libérale des règlements européens dans le droit français tend à la privatisation des réseaux au lieu de revenir à l’esprit du règlement sur les obligations de service public (OSP) qui luttait contre l’absence de cadre conventionnel entre les autorités organisatrices et les opérateurs.
Concernant le réseau de bus, une régie régionale des bus peut être mise en place sans modification du cadre législatif. Elle offrirait un cadre social unifié aux salarié.es dans un contexte de pénurie historique de machinistes. Cette régie renforcerait le poids d’Île-de-France Mobilités et faciliterait la coordination du réseau. Concernant le métro, la création d’une régie doit également être étudiée, à défaut d’abandonner de la privatisation.
Concernant les réseaux RER et Transilien, une modification du cadre législatif est nécessaire pour remettre en cause le principe, le calendrier et la méthode retenus pour la vente à la découpe de l’exploitation du réseau ferré francilien.
La mise en concurrence des transports publics est le sujet de la décennie 2020 : son coût, ses conséquences et l’absence d’études d’impacts interrogent gravement le fonctionnement des réseaux de transports publics ces prochaines années. Les milliards consacrés à la mise en concurrence viennent percuter l’ensemble des investissements de la décennie.
Les articles de cette proposition de loi proposent donc :
– de faciliter le maintien du monopole de la régie RATP sur les lignes qu’elle exploite actuellement par la cession des activités hors Île-de-France permettant le maintien d’un monopole public au bénéfice de la RATP en Île-de-France ;
– de reporter l’ouverture à la concurrence de l’ensemble des services réguliers de transport guidé d’Île-de-France, de la RATP comme de la SNCF, au 31 décembre 2039 ;
– de simplifier la possibilité pour Île-de-France Mobilités de créer une régie régionale dédiée à l’exploitation de l’ensemble des services réguliers de transport guidé et de transports routiers de voyageurs d’Île-de-France.
Proposition de loi visant à maintenir un service public de transports en commun de qualité par le maintien de monopoles publics en Île-de-France
Article 1er
I. – Le II de l’article L. 1241-6 du code des transports est ainsi modifié :
– 9-
1° Au 1°, les mots : « à une date comprise entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026, fixée par décision de l’autorité organisatrice » sont remplacés par les mots : « au plus tôt le 31 décembre 2029 » ;
2° Au 2°, les mots : « le 31 décembre 2029 » sont remplacés par les mots : « au plus tôt le 31 décembre 2039 ».
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II. – Au sixième alinéa du II de l’article 1
7 janvier 1959 relative à l’organisation des
Île-de-France, les mots : « à une date comprise entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026 » sont remplacés par les mots : « au plus tôt le 31 décembre 2029 ».
Article 2
La Régie Autonome des Transports Parisiens(RATP) cédera, avant le 31 décembre 2026, l’ensemble de ses activités et participations, en dehors de l’Île-de-France, susceptibles de contrarier le maintien de son monopole public sur les lignes dont elle assure l’exploitation en Île-de-France.
Article 3
La RATP conservera, après le 31 décembre 2026, ses droits de ligne et l’exploitation des lignes routières et ferroviaires qu’elle opérait avant décembre 2009 en Île-de-France.